IA d’entreprise : le frein caché des silos de données

L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres. Chaque jour, de nouvelles avancées promettent de transformer nos entreprises, d’automatiser les tâches et de débloquer une productivité inédite.

Pourtant, derrière cette effervescence technologique se cache un obstacle bien plus ancien et tenace : nos propres données. Une étude récente d’IBM révèle que le principal frein à l’échelle de l’IA n’est pas l’algorithme, mais bien la persistance des silos de données.

Ces silos, véritables forteresses isolant les informations d’un département à l’autre, sont décrits par Ed Lovely, Chief Data Officer chez IBM, comme le « talon d’Achille » de toute stratégie de données moderne. Alors que l’IA est prête à passer à la vitesse supérieure, nos données, elles, sont encore fragmentées. Dans cet article, nous allons explorer pourquoi ce problème est si majeur et, surtout, comment le surmonter pour enfin libérer le plein potentiel de l’IA.

Le diagnostic : les données isolées, un frein majeur à l’innovation

Avant de chercher des solutions, il est essentiel de bien comprendre la nature du problème. Les silos de données ne sont pas qu’un simple inconvénient technique ; ils représentent un véritable goulot d’étranglement qui paralyse les initiatives les plus porteuses.

Votre stratégie d’IA face à un adversaire silencieux

Imaginez la scène : votre département finance possède des données essentielles sur les revenus, les ressources humaines sur les compétences des employés, le marketing sur le comportement des clients et la logistique sur l’état des stocks. Chacune de ces informations est une mine d’or potentielle. Le problème ?

Elles ne communiquent pas entre elles. L’étude d’IBM, menée auprès de 1 700 leaders de la donnée, confirme que ces données fonctionnelles restent obstinément isolées, sans taxonomie commune ni standards partagés.

Ce manque de cohésion transforme chaque projet d’IA en un parcours du combattant. Au lieu de construire des modèles prédictifs puissants, les équipes passent un temps infini à essayer de faire dialoguer des systèmes qui parlent des langues différentes.

De l’analyse à la corvée de nettoyage : une perte de temps significative

La conséquence de cette fragmentation est une perte de temps et d’efficacité significative. « Lorsque les données vivent au sein des silos déconnectés, chaque initiative d’IA se transforme en un projet de nettoyage de données qui s’étend sur six à douze mois », explique Ed Lovely. Les équipes passent alors plus de temps à chasser et à aligner les informations qu’à générer des analyses pertinentes.

Pendant ce temps, la concurrence avance. Pour les Directeurs des Systèmes d’Information (DSI) et les Chief Data Officers (CDO), la mission a changé. Il ne s’agit plus seulement de collecter et de protéger les données, mais de les déployer efficacement pour alimenter les nouveaux moteurs de l’IA et conserver un avantage concurrentiel.

Repenser l’approche : de la simple collecte à la valeur ajoutée

Pour briser ces silos, il faut d’abord opérer un changement de mentalité. L’objectif n’est plus d’accumuler des données, mais de les transformer en résultats métiers concrets et mesurables.

La création de valeur métier : la priorité absolue

Le consensus est clair : 92 % des CDO interrogés par IBM affirment que leur succès dépend de leur capacité à générer de la valeur pour l’entreprise. C’est ici que réside toute la tension : si l’ambition est partagée par presque tous, seuls 29 % se disent confiants dans leur capacité à mesurer réellement la valeur commerciale de leurs initiatives data.

C’est précisément pour combler cet écart que les agents d’IA, capables d’apprendre et d’agir de manière autonome, suscitent un grand espoir. La confiance grandit, avec 83 % des CDO estimant que les bénéfices de leur déploiement l’emportent largement sur les risques.

L’IA comme catalyseur de performance : exemples concrets

Les exemples tangibles ne manquent pas.

• Chez Medtronic, une entreprise mondiale de technologies médicales, les équipes perdaient un temps précieux à rapprocher manuellement les factures, les bons de commande et les preuves de livraison. En déployant une solution d’IA, l’entreprise a entièrement automatisé ce processus.

  Le résultat est impressionnant : le temps de traitement est passé de 20 minutes par facture à seulement 8 secondes, avec un taux de précision supérieur à 99 %. Le personnel a ainsi pu être redéployé vers des tâches à plus forte valeur ajoutée.

• De même, l’entreprise d’énergies renouvelables Matrix Renewables a mis en place une plateforme de données centralisée pour surveiller ses actifs. Ceci a permis de réduire le temps de reporting de 75 % et les coûteuses pannes de 10 %.

Nouvelles fondations : architecture, gouvernance, et talents

Atteindre de tels résultats exige de repenser les fondations techniques et humaines de la gestion des données. Trois grands défis se dessinent : l’architecture, la gouvernance et les compétences.

Déplacer l’IA vers les données (l’approche moderne)

L’ancien modèle, qui consistait à déplacer péniblement et coûteusement toutes les données vers un lac de données central (data lake), est en train de devenir obsolète. L’étude d’IBM révèle une tendance de fond : 81 % des CDO préfèrent désormais amener l’IA aux données, plutôt que de déplacer les données vers l’IA.

Cette approche s’appuie sur des architectures modernes comme le « data mesh » ou la « data fabric« . Pensez-y comme une couche de virtualisation intelligente qui permet d’accéder aux données là où elles se trouvent, de manière sécurisée et unifiée, sans avoir à tout déménager. Elle promeut également le concept de « produits de données » : des ensembles de données packagés, réutilisables et conçus pour un objectif métier précis, comme une vue client 360 ou un modèle de prévision financière.

L’alliance essentielle de la gouvernance

Rendre les données plus accessibles soulève inévitablement des questions de sécurité et de conformité. L’alliance entre le CDO et le Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Information (RSSI) devient essentielle pour trouver le juste équilibre entre agilité et protection. La souveraineté des données est une préoccupation majeure, considérée par 82 % des CDO comme un élément clé de leur stratégie de gestion des risques.

Le défi humain par-dessus tout

Le plus grand obstacle pourrait bien être humain. Le rapport met en lumière un déficit de talents qui s’amplifie constamment. En 2025, 77 % des CDO s’attendent à avoir des difficultés à attirer et retenir les talents de la data, contre 62 % en 2024.

Cette pénurie est aggravée par le fait que les compétences requises évoluent à un rythme effréné. Pas moins de 82 % des CDO déclarent embaucher pour des rôles liés à l’IA générative qui n’existaient même pas l’année dernière. Comme le souligne Hiroshi Okuyama, Chief Digital Officer chez Yanmar Holdings : « Changer la culture est difficile, mais les gens prennent conscience que leurs décisions doivent être basées sur des faits et des données. »

La voie est tracée. Pour passer des expérimentations isolées à une automatisation intelligente à grande échelle, les entreprises doivent agir sur deux fronts.

D’un côté, technique, en investissant au sein des architectures de données fédérées et modernes, et en encourageant la création de « produits de données » partageables. De l’autre, culturel, en faisant de la maîtrise des données (data literacy) une priorité pour tous les employés, pas seulement pour le département informatique.

Les entreprises qui réussiront seront celles qui cesseront de considérer leurs données comme un sous-produit de leurs applications pour enfin les traiter comme leur actif le plus précieux. Comme le conclut Ed Lovely, « celles qui y parviendront n’amélioreront pas seulement leur IA, elles transformeront leur façon de fonctionner, prendront des décisions plus rapides et gagneront un avantage concurrentiel déterminant. »

Et au sein de votre organisation, les silos ont-ils déjà commencé à tomber ?

Simone

Simone, rédactrice principale du blog, est une passionnée de l’intelligence artificielle. Originaire de la Silicon Valley, elle est dévouée à partager sa passion pour l’IA à travers ses articles. Sa conviction en l’innovation et son optimisme sur l’impact positif de l’IA l’animent dans sa mission de sensibilisation.